Depuis Manolete, on le sait, le toreo n'est plus une question de domination pure et âpre, mais plutôt une recherche permanente de l'esthétique, du beau, de la symbiose homme/animal... bref de la création artistique où tout geste n'est justifié que par la grâce.
Pour se faire, c'est inévitable, les toros doivent coopérer.
Ainsi, la bravoure sauvage qu'initialement il fallait dominer et canaliser, s'est progressivement muter en noblesse suave et malléable.
Manolete n'est plus ! Que reste-t-il ? Jose Tomas, Morante, Ponce, El Juli...l'héritage ou du moins la perpétuation de son toreo est indiscutable … mais les toros dans tout ça ! Malheureusement ils sont cantonnés à de simples faire-valoir, pire, régulièrement, pris pour excuses toutes trouvées à des échecs d'incapacité.
Combien de reseñas contiennent les formules toutes faites du style « il a été mal servi », « un lot qui ne permettait pas » ou « il n'a pas été gâté par le sorteo »... une constante incrimination du toro dans l'infortune et le non-succès des hommes.
Il apparaît alors nécessaire de rappeler que le toro est le seul acteur qui n'a aucune volonté dans cette affaire. Il ne tire aucun bénéfice à être en piste, lui. Et pourtant, aujourd'hui, on lui fait porter le chapeau de tous les maux de la corrida spectacle. Mais toréer, n'est-il pas le savoir-faire, le talent, le don parfois, donné à une poignée d'hommes, hors normes, de réduire l'animal à leur volonté. Mais que penser de ces hommes qui « expédient » un toro car il ne « veulent » pas les voir.
Pourquoi est-il interdit de siffler, conspuer un torero renommé qui ne « veut » pas, alors qu'il est répandu de faire sortir dans l'anonymat un toro qui a été toréé avec indifférence, ou incompréhension, pire, tuer dans l'irrespect !
Un toro retord est dénoncé avec force alors que c'est l'incapacité à le toréer qui devrait être mis en évidence. Cette systématisation est d'autant plus inacceptable qu'en général ce sont les toreros qui ont été impuissants, qui choisissent eux-mêmes leurs toros !!
Heureusement qu'il existe encore des toreros qui adaptent leur travail aux toros qu'ils reçoivent, des toreros qui savent analyser leur adversaire pour leur donner une faena « juste ». Malheureusement, ces héros sont trop souvent incompris et par le fait se retrouvent eux aussi en voie de disparition.
Quand les héritiers de Manolete jouent avec des caniches d'autres dominent, réduisent et tuent des toros !
R. Lavidale
extrait du recuerdo 2011